Le harcèlement : comment ça construit et quelles blessures ça crée
J’ai été harcelée au collège. Et si je suis vraiment honnête, j’ai harcelé à mon tour au lycée.
J’ai cru que la seule solution pour survivre, c’était de devenir cette personne qui harcèle. Harceler, ou être harcelée.
Je n’en veux pas à ces personnes. Ni à moi-même. On était jeunes, bêtes et désinvoltes.
Mais ça a néanmoins eu un profond impact sur mon estime de moi, et notamment dans mes relations avec les hommes.
Pendant 15 ans, j’ai nié son importance. J’ai cru que c’était derrière moi, que c’était du passé.
Jusqu’à ce que je réalise que non, je le trainais encore comme un boulet au pied.
Pour tout vous dire, tout est parti du jour où j’ai eu une relation avec un garçon en couple. Ce n’était ni classe, ni respectueux de ma part. Mais c’est moi, en totalité, qui ai payé pour ça.
Le garçon en couple, à aucun moment, n’a eu quoi que ce soit.
Au contraire, il a été applaudi pour avoir fait ça.
Suite à ça, j’ai été harcelée au collège, tous les jours, mais aussi sur les réseaux. Pendant 2 ans.
Jusqu’à ce que je sois en couple avec un garçon, pendant 4 ans. À partir de là, tout s’est calmé.
Et je réalise seulement maintenant à quel point ça a implémenté des croyances profondes en moi.
« Je dois être en couple pour ne pas passer pour la pute »
« Je dois être posée pour ne pas être critiquée par les autres »
« Je dois être sage »
« Je ne dois pas faire trop de bruit »
« Je dois être en couple pour survivre »
C’est vrai. C’est comme si le fait d’être en couple achetait une paix, une tranquillité.
C’est en tout cas de cette façon que je l’ai vécu, en tant que jeune fille.
Le fait d’être « rattachée » à un garçon faisait de moi quelqu’un de bien, de posé. J’étais moins critiquée.
Les autres filles avaient moins peur de moi.
Il n’y avait plus cette rivalité, cette compétition.
J’étais « prise ». J’étais donc tranquille.
Mais je comprends surtout aujourd’hui toute la honte que j’ai portée, suite à ce harcèlement.
J’ai porté la mienne, celle du garçon en question mais aussi celle de toutes les femmes humiliées sur la place publique.
Celles de ma génération et celles d’avant.
Ce sont des mémoires si anciennes que l’on porte. Les mémoires de la « pute », si profondément ancrées.
Une femme qui jouit de son corps est une pute.
Une femme qui prend du plaisir est une pute.
Une femme qui profite de sa liberté est une pute.
Une femme qui ne veut pas se caser avec un homme est une pute.
Une femme qui assume son corps est une pute.
Et c’est encore pire quand il s’agit de notre première expérience, à 13 ans.
J’ai pu l’expérimenter par la suite, aussi.
Pendant mes études. Je n’ai eu qu’une année de célibat et pourtant, j’ai bien vu à quel point le regard des autres était différent.
Dès que l’on s’assume.
Les ragots, les critiques.
Si je suis honnête, je l’ai moi-même fait, dès que je percevais une femme comme un danger.
On ne nous apprend pas la sororité. Se soutenir en tant que femmes, quels que soient nos choix et nos idées.
Personnellement, si je prends du recul, ça a implanté l’idée qu’il faut que je sois en couple pour être en sécurité.
Pour ne pas être affichée sur la place publique.
Il faut se cacher, être sage, se tenir à carreaux.
Mais seulement pour nous, les femmes.
Je le répète, ce garçon n’a rien eu. À aucun moment. Il s’est remis avec sa copine, comme si de rien n’était.
C’est là, que j’ai perçu l’injustice de ce monde. En tout cas, je l’ai vu comme tel. Et je pense que je suis loin d’être la seule.
J’ai vu comme une femme n’a pas le droit à l’erreur, sinon on crie au bûcher.
J’ai vu comme la valeur d’une femme dépend de sa pudeur, de son intimité et de sa discrétion.
Chaque sexe à ses problématiques, je l’entends. Les hommes ont les leurs aussi.
Néanmoins qu’inculque-t-on à nos filles ?
Veut-on vraiment continuer à leur faire porter cette honte, ou ne veut on pas qu’elles soient libérées et libres de leurs choix?
Je vois encore l’impact que cette histoire a eu sur mon intimité, 15 ans après.
La honte que j’ai de jouir durant mes rapports intimes.
La honte que j’ai de rire un peu trop fort.
La honte que j’ai de m’habiller de façon trop sensuelle.
La honte que j’ai de vouloir plaire.
La honte que j’ai d’aimer mon corps et de l’assumer.
C’est fou, comme dès que j’ai l’impression de prendre trop de place, d’être trop visible, d’avoir trop de plaisir, mon inconscient l’assimile au fait d’être une pute.
Car c’est la première image qu’il a eu, qu’il a retenu.
Et car c’est ce que l’on nous répète depuis des siècles.
Je ne crois pas avoir nettoyé l’ensemble de ces mémoires, loin de là. J’essaye encore de nettoyer la mienne.
C’est un travail de chaque jour, de m’autoriser à jouer, rire, à vivre avec légèreté.
Sans me voir comme une femme frivole.
Car je me vois faire - me prendre au sérieux, ne pas trop rentrer dans le jeu, ne pas trop draguer, tout ça pour ne pas passer pour la pute.
Le mythe de la pute ou la sainte.
Je crois que c’est le dilemme de toutes les femmes de ce monde. D’un grand nombre, à tout le moins.
Ce dilemme qu’on nous impose et duquel nous n’arrivons pas à nous défaire.
Ce dilemme dans lequel nous naviguons, d’un côté à l’autre, tentant tant bien que mal de trouver l’équilibre.
J’en parlerai la semaine prochaine, dans mon prochain article.
D’ici là, j’espère que ces mots auront pu résonner. Peut-être avez vous vécu une histoire similaire.
Si c’est le cas, je vous envoie tout mon amour. Je sais à quel point le harcèlement peut être dur à vivre. Et surtout, je sais à quel point il laisse de vives cicatrices, longues à partir. Nier leur existence n’est jamais - jamais, la solution.
Je me permets de le redire, après les avoir mises pendant 15 ans sous le tapis.
Mais je vous assure qu’avec le temps et beaucoup d’amour, tout guéri.
Je vous embrasse fort,
À mardi prochain,
Florine